5 mars 2008

approche conversationnelle


Le réseau informatique mondial, Internet, donne la possibilité au public d’accéder à des services comme le courrier électronique et le World Wide Web. Dans ce cas, le réseau public mondial est exploité comme ressource, par exemple, pour communiquer par l’écrit, l’audio, la vidéo (le chat, la webcam, le courriel, etc) ou encore pour des recherches sur le Web. D’un autre côté, en adoptant plutôt une posture d’observation, l’Internet est exploité comme objet d’étude. Lorenza Mondada se positionne dans ce dernier cas, où elle analyse la communication médiatisée par ordinateur (CMO) (computer-mediated communication) par l’exploitation d’un corpus de messages envoyés par courriel, dans les listes ou dans les forums de discussion. La linguiste considère en effet, dans ce sens, l’Internet comme « un immense réservoir de corpus discursifs pouvant renseigner sur les usages contemporains des langues et des formes communicatives, pouvant faire l’objet d’analyses et de descriptions, aussi bien que de sensibilisation à l’hétérogénéité des genres et des registres, au changement linguistique, aux rapports à la norme, à l’usage international des variétés d’anglais langue seconde, etc. » (1999 : 4).

Mondada a constitué son corpus à partir des formes les plus pratiquées de cybercommunication : les messages asynchrones échangés par ordinateur. L’analyste considère en effet que l’interactivité ne caractérise pas uniquement les échanges synchrones. L’énonciateur produit de l’interactivité dans sa façon « de reprendre le message de l’autre par segments pour y répondre, le commenter, l’évaluer, le compléter ».

Dans ce cadre, l’auteur s’est penché dans cet article sur un phénomène particulier : la pratique récurrente, dans les messages envoyés par courriel, dans les listes ou dans les forums de discussion, qui consiste à reprendre le message de l’autre pour y répondre, le commenter, l’évaluer, le compléter. L’analyse linguistique montre que i) l’énonciateur introduit une interactivité par cette façon de traiter le message et ii) il met en scène sa réponse. Les modalités des enchaînements séquentiels entre les messages rend manifeste les activités de production et d’interprétation de l’énonciateur. Le cybernaute construit un espace d’intersubjectivité qui pourra être modifié par les locuteurs successifs.

Dans l’article, l’interactivité est étudiée en reprenant « la notion de séquentialité rapportée à l’alternance des tours de parole en Analyse Conversationnelle, en analysant la façon dont le second locuteur configure des tours à partir du message précédent et les relations prospectives et rétrospectives qui s’y établissent » (1999 : 8).

Justification de son approche par l’auteur :

« Certes cette séquentialité est spécifique à ce type de messages et à leur asynchronicité : d’une part la notion de tour de parole a été conçue par rapport au déploiement alterné de la parole dans la conversation orale en face-à-face, en réponse à la question de savoir comment les interlocuteurs coordonnaient leurs prises de parole respectives, en minimisant à la fois les pauses et les chevauchements (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974, A Simplest Systematics from the Organization of the turn taking for Conversation) ; d’autre part, et contrairement à la séquentialité de la conversation synchrone, il n’y a pas, dans les messages que nous analyserons ici, de lien prospectif du tour du deuxième locuteur sur le tour suivant, puisque celui-ci est une autre citation tirée du message du premier locuteur. Entre une paire adjacence et l’autre, le lien est donc très lâche, contrairement à ce qui se passe dans la conversation » (1999 : 8).

Mondada analyse, comme nous l’avons dit, l’interactivité de la CMO, avec les outils de l’analyse de conversation. Elle fait des concessions, comme on l’a également vu ci-dessus, face à son approche : « bien que la séquentialité des échanges asynchrones sur Internet ne se manifeste pas de la même façon que la séquentialité de la parole orale en interaction en face à face, l’organisation séquentielle est présente dans les deux cas, avec ces contraintes et ses possibilités » (Mondada, 1999 : 21).

Une concession que l’on retrouve dans les travaux, sur les interactions écrites synchrones et quasi-synchrones sur téléphone mobile, du chercheur Marc Relieu (2005) : « l’impossiblité d’effectuer un repérage temporel précis de la position séquentielle de la contribution produite par B [énonciateur sur une session de chat graphique sur téléphone mobile] se conjugue avec une incertitude portant sur les moments d’inactivité des scripteurs pour rendre indécidable l’interprétation précise de la séquence » (2005 : 47). Dans son article, Relieu a pour objectif de « thématiser, dans son épaisseur phénoménale, la mise en forme ordonnée d’une activité dans le temps de son accomplissement en temps réel » (2005 : 43). Il a constitué son corpus à partir d’un mode de télécommunication où « il est possible d’écrire ou de dessiner à l’aide d’un stylet et d’un écran tactile des messages destinés à un ou plusieurs utilisateurs » (2005 : 45). Un utilisateur peut découvrir un écrit longtemps après son émission, et ajouter une réponse. Des indications temporelles sont ajoutées dans les données pour que l’analyste reconstitue approximativement l’enchaînement des contributions.

Les corpus sur lesquels sont composés les deux articles comportent donc des similitudes sur les indications temporelles disponibles à l’analyste et sur le fait que les contributions écrites antérieures sont exploitées pour l’échange communicationnel.

Le chercheur Relieu se réfère également aux premiers travaux de l’analyse ethnométhologique de la parole (Sacks, Schegloff et Jefferson, 1974). Il nous en rappelle un point essentiel : « une conversation se caractérise par l’usage de procédés systématiques permettant aux locuteurs de réaliser des transferts « à la volée » minimisant les silences entre les tours » (2005 : 48). A juste titre, cet auteur montre que la connaissance du délai entre les prises de tour est essentielle pour caractériser une activité conversationnelle.

Le chercheur Marc Relieu a analysé en situation « des activités de communication médiée ». L’accent est mis sur l’activité de production. Dans ce sens, Marc Relieu remarque qu’il « convient toutefois de ne pas confondre le champ de l’étude des interactions médiatisées avec le domaine de recherche sur les usages des technologies et applications de l’information et de la communication » (2005 : 48). La frontière entre ces deux domaines paraît moins nette à présent en comparant les rendus d’observations de la linguiste, Mondada, et la justification donnée par Marc Relieu. En effet, quand ce dernier argumente que « l’usage des technologies de l’information et de la communication revêt un caractère foncièrement double : d’une part, il met en place une situation de contact distant entre des participants ; d’autre part, il s’inscrit dans une activité qui reste localisée dans un contexte particulier (un domicile, un lieu public, un espace professionnel) » (Relieu, 2005 : 49), la linguiste montre que par sa « façon de traiter le discours de l’autre , l’énonciateur introduit une interactivité dans son message, (…) qu’il construit un espace d’intersubjectivité qui pourra être modifié par les locuteurs successifs » (Mondada, 1999 : 5). Le premier point énoncé par Relieu est interrogé dans les données de la linguiste (d’une part, la situation de contact distant, et de l’autre, un espace d’intersubjectivité).

L’approche de l’Analyse Conversationnelle montrerait pour les deux champs que la mise en évidence circonstanciée et systématique des ressources, qu’utilisent les interactants de manières démontrable et attestable, décrit l’effectuation d’une coordination dans ces modes de télécommunications. Dans les messages asynchrones sur Internet, l’analyse en temps réel de l’élaboration du tour de parole « n’est plus une affaire de gestion temporelle, mais reste une affaire d’organisation séquentielle de l’alternance entre locuteurs autour de l’identification de points privilégiés dans le discours » (Mondada, 1999 : 12).

Toutefois, il convient de retenir que la conversation est une réalisation interactive, comme démontré par les travaux des fondateurs de l’Analyse de conversation cités plus haut. Pour Bernard Conein (Les Sens Sociaux, 2005), la conversation est une forme d’action commune élémentaire. Son analyse, étayée de données empiriques, appartient à une sociologie de l’action conjointe.

Mondada, L. (1999). Formes de séquentialité dans les courriels et les forums de discussion. Une approche conversationnelle de l’interaction sur Internet. ALSIC, Vol. 2, Numéro 1, pp. 3-25. http://alsic.u-strasbg.fr

Relieu, M. (2005). Quels contextes pour quelles interactions ? Remarques sur l’étude située des activités de communication médiée. Migrance, 23, pp. 42-49.