9 janv. 2008

un médium hétérotopique


Samuel Bordreuil, dans L’Histoire de la « Dog Poop Girl » revisitée – Usages et mésusages d’un médium hétérotopique, donne à lire une acception « hétérotopique » dans la description des posts que l’on trouve sur le web. L’auteur revient sur un cas d’incivilité dans un lieu public pour explorer la question des « menaces que le web fait peser sur les biens de privacy ».


« Il reste qu’il faut prendre au sérieux l’idée selon laquelle le web apporterait de nouvelles armes pour s’attaquer à la vie privée des gens » (Bordreuil, 2006 : 138)

Regardons, sans prendre pour objet l’intérêt pour l’auteur de thématiser les atteintes à la vie privée, comment une définition ou description est construite par un travail sémantique par l’auteur lui-même et est comprise dans le processus de lecture avec son contexte (et cotexte) :

« Comment alors qualifier cette structure du web comme aire de réception de publications ? Il nous semble que le terme d’hétérotopie ait quelque valeur en l’occurrence. Et pour au moins deux raisons. Tout d’abord, son unité de publication, la page (sa « topie » élémentaire) n’est pas affectée, du moins dans son existence, par la multitude des topies qui l’environnent (Et, au passage, que veut dire ici « environner » ?). Le sort de l’une, si l’on peut ainsi s’exprimer, est étranger au sort de l’autre, n’est en tous cas pas menacé par des contraintes d’assemblage qui rameuteraient alors le visage d’une homotopie sous jacente. Mais, en second lieu, comme on le sait, le mot de « topos » flèche vers deux univers de référence, celui de l’espace (lieu physique), mais aussi celui du sens (comme quand on parle de « lieu commun »). L’anglais en tous cas ajoute à cette référence langagière le mot de « topic », pour désigner des sujets de conversation.


Avec cette acception en tête, pour en revenir au web, on saisit le sens que peut prendre le qualificatif d’hétérotopique : il viendra désigner une propriété d’extrême dispersion des motifs d’attentions lectrices, et éventuellement conversationnelles (Parlerait-on de lui comme d’une « centrifugeuse » des attentions ? Mais encore faudrait-il présupposer l’existence d’un état centré de ces attentions…). Pour revenir à la photo infamante, il nous semble raisonnable de faire l’hypothèse que c’est sans doute d’avoir pu entrer sur le web par la bande qu’elle doit au moins le début de sa carrière numérique (…). Ainsi, on peut penser que ce cliché pris par un photographe de presse (par exemple, à la rubrique « incivilités ») n’aurait passé la barre de la publication qu’à condition d’en flouter les visages, pour respecter des impératifs de protection de la vie privée. A l’inverse, l’hébergeur n’a guère prêté attention à la focale d’attention que proposait le post et n’a sans doute pas anticipé les conséquences dévastatrices que pouvait avoir cette offre d’attention – à la différence d’un organe de presse établi –, sur son « capital d’attention » et ce qui de ce capital était lié à sa réputation.


Mais le point essentiel qu’on soumet ici à l’examen est qu’une propriété technique, le caractère illimité d’une aire de publication vaut immédiatement propriété sociale : son espace ménage des possibilités d’entrée qui peuvent soit alléger les négociations préalables à une publication, soit permettre de s’en dispenser. Le fait que ce post prenne place à coté et ne « perce » donc pas, ôte un motif à la prise d’un verrou interactionnel dans sa progression (Ou bien il n’en laisse qu’un, celui de la négociation que le posteur ouvre avec lui-même, décidant ou pas d’inhiber son intention à publier). (Bordreuil, 2006 : 230-231)

Bordreuil, S. (2006). L’Histoire de la « Dog Poop Girl » revisitée – Usages et mésusages d’un médium hétérotopique. Réseaux, 138, vol. 24, 219-239