16 déc. 2009

Voyons comment les choses se font (i)


Le numéro 19, multimédia et interactif de la revue Ethnographiques.org réunira des contributions qui interrogent, décrivent et analysent la façon dont les sons — certains pouvant être catégorisés comme « bruits » — prennent place dans les activités sociales. Leurs propriétés sont ainsi exploitées pour organiser les conduites et définir les contextes d’actions. La démarche pluridisciplinaire des contributeurs, vise ainsi à générer des connaissances empiriques sur l’objet de la manifestation de bruit/son dans les pratiques interpersonnelles. « Voyons comment les choses se font », nous recommande Jean-François Augoyard dans l’entretien qui ouvre ce dossier. Les contributions de ce numéro peuvent être rassemblées autour de ce précepte, pour nous offrir une écologie des sons dans l’accomplissement des activités quotidiennes des agents sociaux. Le bruit/son est abordé par l’ethnographie, sur différents terrains, qu’il s’agisse de vie urbaine, de travail, de fête populaire, ou de création artistique.

30 oct. 2009

Bloguer comme activité sociale


Dans leur article de 2004, les co-auteurs Bonnie A. Nardi, Diane J. Schiano et Michelle Gumbrecht rapportent les résultats d’une étude ethnographique sur la pratique du blogue. Les chercheurs se sont concentrés sur les blogues écrits par des individus ou par des petits groupes de rédacteurs, mais toujours tournés vers des publics limités. Le titre de leur travail est « Blogging as social activity, or, would you let 900 million people read your diary? ». En effet, la pratique du blog est une forme de communication qui repose sur la base du Web, elle est devenue très rapidement « mainstream » et touche un grand nombre important de lecteurs potentiels. Les blogues sont des pages web mises à jour fréquemment avec l’archivage des « posts » précédents, en général dans un ordre chronologique inversé. Le contenu d’un blog est principalement textuel, mais ils peuvent également montrer des photos ou d’autres éléments multimédia. La plupart fournissent des liens hypertextes vers d’autres sites Internet et ils permettent d’avoir accès aux commentaires laissés par le public. C’est autour de 1997 que la pratique apparaît sous la forme de scripts de nouvelles. Aujourd’hui, les outils rendent cette pratique très simple et accessible à un grand nombre de personnes, « pushbutton publishing for the people ».

Les auteurs parlent des motivations pour tenir un blogue, et ils étudient la qualité de interactivité sociale qui caractérise les blogues dont les relations avec leurs publics. Les blogues proposent de nombreuses variétés de nature et de contenu, mais la plupart sont considérés comme des journaux personnels, et parfois ils ont une forme confessionnelle. Herring et al. (2004) ont décrit trois principaux types de blogues (In A genre analysis of weblogs) : les journaux personnels avec un auteur individuel, les « filtres » (parce qu’ils sélectionnent et fournissent des commentaires sur de l’information provenant d’autres sites) et les « journaux de la connaissance ». 70 % des sites de leur échantillon étaient du type du journal personnel, « online diary ». Pourquoi les personnes utilisent les blogues et comment la relation avec les lecteurs est-elle gérée ? L’article y répond en montrant plusieurs parties d’analyses : les pratiques du blogue, les blogues comme pratique sociale, l’objet de cette activité. Ils montrent ainsi de nombreux objets de motivation pour bloguer. 1) tenir au courant les autres sur ses activités et ses rencontres ; 2) Exprimer ses opinions pour influences les lecteurs ; 3) Solliciter l’opinion des autres et des retours ; 4) « des pensées écrites » ; 5) Relâcher sa tension émotionnelle.

23 juil. 2009

Mode connecté




En s’appuyant sur les usages observés en France, Dominique Cardon et Fabien Granjon ont exploré en 2002 les approches de la communication par réseau. Leur article pose la question de savoir si les pratiques culturelles et de loisir peuvent expliquer les pratiques de communication ? Cette approche par réseau permet de comprendre plus finement les liens qui unissent les pratiques culturelles du jeune adulte Nathan et ses manières d’échanger avec les différents groupes de son espace relationnel. La méthode utilisée dans l’étude de ces deux auteurs est celle des carnets de sociabilité qui permet d’articuler deux grandes « techniques » de différenciation des publics : celles qui privilégient les contenus et celles qui s’attachent à objectiver des pratiques empiriques. L’approche vise à cartographier plus finement les usagers des outils de communication en intégrant les contenus culturels. Avec les individus du groupe que Nathan considère comme ses meilleurs amis, l’étude montre que les relations s’organisent par des rencontres en face-à-face. Mais l’originalité de l’analyse porte sur un point de vue nouveau autour du développement des pratiques de communication. L’étude montre que le réseau de sociabilité s’organise aussi par la téléphonie mobile. Les modes de communication sont soit vocales soit écrites. Le groupe échange également par le courrier électronique. Le réseau de sociabilité de Nathan s’étend à la sphère des internautes.


L’étude présente que dans ce type de relation, les contacts sont tous électroniques avec une place importante accordée à - tenue par - la messagerie instantanée. Outre l’âge, le fait d’être seul au foyer est également un facteur important dans l’usage des pratiques de communication comme la messagerie instantanée et le chat. Dans Réseaux n°113, daté de 2002, Christian Licoppe observe que le fait d’avoir du temps disponible favorise, d’une manière générale, les échanges communicationnels en « mode connecté ». Les messageries instantanées comme ICQ et le messager de Voilà, sont des produits qui offrent ce service de communication utilisé pour écrire et converser en quasi-synchronie avec le correspondant de son choix.


Sur les analyses des principaux outils de communication basée sur l’Internet semblable aux deux cités ci-dessus, Valérie Beaudouin, dans son article de 2002, s’applique à la confection des profils d’internautes et de l’évolution des usages. Le chercheur constate qu’au sein d’une offre riche et diversifiée, tant du point de vue des contenus, des services que des outils de communication, les trajectoires des usages sont très variables selon les profils des internautes. L’analyse rend compte du constat que les usages sont le fruit d’un ajustement serré, rapide et constant entre offre et demande. L’étude se développe sur un ensemble de méthodes de recueil, de mise en forme et de traitement des données. L’objectif défini est de reconstituer à partir des pratiques des profils d’utilisateurs d’Internet. Les résultats sont construits à partir des données de trafic d’un panel de 1140 internautes suivie tout au long de l’année 2000. Plusieurs des résultats analytiques renseignent sur le déroulement des pratiques réelles lors des sessions de la messagerie instantanée. Les premiers se dégagent à partir des données de trafic collectées pour calibrer la durée moyenne des sessions (en minutes) selon le service utilisé. Nous retiendrons que dans 12% des sessions Internet, il y a consultation des messageries instantanées. Les sessions avec accès à ce service utilisé sur Internet durent en moyenne 36 minutes. Les seconds sont extraits de la population des utilisateurs intensifs d’Internet, qui contribue à 85% des sessions enregistrées. Un profil parmi les trois retenus, est identifié comme celui des utilisateurs de « conversation ». Ils représentent 11% de la cohorte extraite. Ces usagers articulent, dans leurs pratiques de navigation sur le Web, consultation de la messagerie électronique et conversation en direct avec la messagerie instantanée et le chat. Le chercheur note que les internautes fortement engagés dans ces bavardages écrits sont aussi ceux qui présentent la plus grande aptitude à jongler entre le Web, le courrier et les dialogues en direct dans une même séquence d’activité. Leur habileté à articuler savamment l’organisation de plusieurs activités, à maîtriser les codes d’écriture propres à chacun, leur donne aussi des statuts d’expert dans les environnements numériques.

31 mai 2009

Entretien avec cartes interactives




Nous observons une forme conversationnelle régulière dans l’entretien de recherche avec carte de géolocalisation. Elle prend la forme d’une consigne avec des relances de la consigne. La consigne prend une forme séquentielle en deux parties : 1) formuler le lieu et 2) désigner une activité propre à la référence au lieu formulé. L’ordre séquentiel dans la double consigne apparaît comme un dispositif de description mis en place interactionnellement qui permet à l’enquêteur de comprendre les activités de déplacement de l’enquêté en lien avec les horaires. Les commentaires ou explications de ce dernier informent les données informatiques de géolocalisation. Couplées, ces deux formes de ressources informationnelles permettent de mieux comprendre les déplacements de l’utilisateur de téléphone mobile. Nous posons l’hypothèse que le format propotypique du positionnement de la consigne est en relation à l’activité des participants, c’est-à-dire l’hypothèse du placement séquentiel de la consigne dans l’activité d’entretien d’auto confrontation de l’enquêté avec les données qu’il a générées. Peut-être intervient-elle lors de l’émergence d’un problème interactionnel lié à l’activité de lecture à l’écran ? Par exemple, les pauses longues doivent être gérées interactionnellement.

Les questions de l’enquêteur au format spécifique émergent dans l’activité, mais d’abord dans quel contexte conversationnel apparaissent-elles ? Pour explorer ces questions de l’articulation du discours et des actions situées pour chaque participant, nous employons l’orientation de recherche propre à l’analyse de conversation (Sacks, 1992 [1964-72] ; Sacks et Schegloff, 1973 ; Sacks, Schegloff et Jefferson, 1974). L’analyse de conversation se base sur une description de l’organisation de la « forme structurelle systématique » de la production locale de la parole-en-interaction. Les études en analyse de conversation se veulent rigoureusement empiriques, du fait que l’analyse n’est pas motivée par la théorie, l’intuition ou par des évaluations a priori de la signification des évènements représentés dans les données. La discipline propose de décrire les processus déductifs socialement organisés par lesquels les gens eux-mêmes orientent leur compétence d’agir de manière appropriée. Au fil des analyses dans cet article, nous discuterons plus en détail de l’organisation structurée, de manière plus ou moins systématique, des échanges verbaux dans le travail de mémorisation et de repérage géographique, et en particulier comment cette organisation permet l’alignement des participants sur l’activité en cours.

Comme l’a montré E. Schegloff (1972a : 1076), l’organisation structurelle globale d’une conversation entre deux participants se présente comme une alternance des tours de parole sous la forme a-b-a-b-a-b, où « a » et « b » sont les locuteurs. La séquence a-b-a-b fait que chaque tour successif est séquentiellement dépendant du précédent (ibid). Le parler-en-interaction entre Michel (sociologue-enquêteur) et Franck (enquêté), dans l’extrait 1 ci-dessous, conserve dans l’échange la systématicité de l’alternance des tours avec un ordre visible et descriptible. Dans la conversation, on observe que les deux partenaires sont amenés à rendre compte explicitement de ce qu’ils disent et à justifier ce qu’ils font indépendamment du contexte de la situation, c’est-à-dire du fait qu’il s’agisse d’une interaction d’enquête ou encore du cadre physique (Drew et Heritage, 1992 ; Schegloff, 1993). Les deux locuteurs Franck et Michel ont accès de manière commune aux ressources nécessaires qui permettent d’ordonner leur cours d’action conjointe. La question formulée par le locuteur Michel aux lignes 4 à 6 est composée de deux propositions portées par la valeur symétrique de la conjonction et (Ducrot, 1973 : 97-98). Le morphème et, en tant que connecteur logique, coordonne deux propositions de même fonction, auquel cas les deux propositions de l’énoncé sont équivalentes. Donc l’interlocuteur peut choisir de répondre à l’une ou l’autre. L’apparente symétrie dans la formulation des deux parties de la question est cependant contredite si l’on considére l’interrogation comme un objet sémantico-pragmatique. La première proposition « tu peux repérer à quel endroit c’est ça » est posée de façon absolue. La seconde proposition « et quelle activité tu tu tu faisais là à ce moment là » est conditionnée par la première (Cornulier, 1982 ; Léon, 2005/1997). La subordination est implicite car elle n’est pas exprimée par les termes adéquats. Dans notre énoncé, la conjonction de coordination exprime un premier rapport sémantique d’adjonction de deux notions distinctes (le lieu et l’activité) et un second de succession temporelle. D’un point de vue interactionnel, les deux propositions ne sont pas indépendantes, ce qui affirmerait leur symétrie, mais au contraire repose sur une réponse attendue. L’énonciation du locuteur Michel est un tour allocutif qui modifie la situation ouvrant vers son interlocuteur des droits et des obligations. Le tour de parole de Michel initie la première partie de la paire adjacente question/réponse (Schegloff, 1968 ; Schegloff et Sacks, 1973) qui projette un type d’activité pour la réalisation de la suite. Dans toute paire adjacente, il existe une seconde partie qui est préférée à toute autre (par exemple l’acceptation d’une offre est préférée à son refus). C’est la notion de préférence telle qu’elle a été élaborée par Levinson (1983 : 332-345). Elle correspond à l'attente du locuteur de la première partie et sera formellement non marquée. La question de Michel marque ainsi cette attente. « Ces questions sont une façon pour un locuteur de présenter un choix de réponse à un destinataire, voire même pour l’obliger à répondre de façon prescriptive » (Léon, 2005/1997 : 5). Le tour de Michel constuit dans son énonciation l’attente i) que son interlocuteur réponde, ii) que la réponse fournisse une information. De plus, la forme de la réponse de l’interlocuteur Franck présente aussi une séquentialité en deux parties, en attente chacune de l’évaluation de la part du locuteur Michel. Conformément à une approche séquentielle (Sacks, Schegloff et Jefferson, 1974), nous concevons la paire question-réponse comme appartenant à deux tours de parole adjacents. L’ordre émerge de la conversation : à la question posée par Michel (lignes 4 à 6) qui est construite autour deux propositions distinctes dont la seconde est inclusive de la précédente, le locuteur Franck répond d’abord à la première (ligne 7) ; il y a confirmation (évaluation) par Michel (ligne 8) et ce n’est qu’ensuite que le répondeur Franck formule la réponse à la seconde proposition (lignes 9 et 10). L’interaction rend visible à la fois le travail de compréhension de la question énoncée par Michel mais également et de manière complémentaire, elle restitue, par l’organisation séquentielle des contributions des participants, à l’intérieur même de l’activité de questionnement, la catégorie d’interviewer pour Franck et celle de questionneur-évaluateur pour Michel (Schegloff, 1993). La compréhension de faire un raisonnement pratique de la situation d’enquête comme méthode sociologique émerge dans et par l’échange entre Michel et Franck.



27 avr. 2009

Comparaisons interculturelles (ii)


Dans son rapport d’étude de mars 2006, Chantal de Gournay examine une comparaison internationale de l’aménagement domestique des médias. Sur l’axe de la polarisation des usages sur un média exclusif versus une cohabitation entre filière, Tokyo incarne la polarisation maximale sur le mobile devenu un objet communicant universel, tandis que Londres présente la diversification la plus complète des usages disséminés sur plusieurs supports. L’indicateur d’une telle diversification réside dans le nombre élevé d’ordinateurs portables dans les foyers londonniens, qu’on déplace à l’extérieur de la maison aussi bien qu’à l’intérieur grâce au Wi-Fi, témoignant que l’ordinateur tend à devenir un outil aussi personnel, maniable et universel que le mobile. Après Londres, ce sont les Franciliens et les Réunionnais qui sont les plus réceptifs à la diversification des supports de communication. Au moment de l’enquête, c’est seulement dans ces trois contextes qu’on a pu repérer l’émergence de Wi-Fi et du Bluetooth, ainsi qu’une circulation des contenus entre supports (photos et musique, entre PC et mobile, de PC à PC par Internet, de mobile à mobile par Bluetooth ou MMS), alors qu’à Madrid, par exemple, on ne transfère pas les photos sur l’ordinateur, on ne les envoie pas par Internet, on se contente de les montrer aux tiers par l’écran du mobile, et surtout on les fait éditer dans une boutique. À Tokyo, la quasi-totalité des photos circulent par le mobile (MMS). Les modes de communication interpersonnelle se spécialisent selon d’abord une préférence pour l’écrit sur mobile (SMS ou mobile-mail dans le cas japonais) et Tokyo en tout lieux ; les jeunes de tous pays ; Londres (seulement au travail ou à l’extérieur), Canton (surtout chez les travailleurs migrants). La préférence de l’écrit chez les adultes marques un respect de la bienséance et des codes sociaux, en laissant au destinataire une liberté de réception dans le temps différé et dans la discrétion avec l’entourage, tandis que chez les jeunes elle correspond à la quête d’un mode d’expression inventif, compatible avec un interactivité quasi en temps réel, et identifié avec le groupe d’âge. Ensuite on trouve une préférence pour l’écrit sur l’ordinateur (courriel, messagerie instantanée), la pratique du courriel est répandue à Londres, plus partielle à Paris (plutôt sur le lieu de travail). La messagerie instantanée est pratiquée partout par les jeunes (en Chine, dans les cybercafés), comme le SMS. A la Réunion, elle se diffuse en raison des relations à distance entre les communautés ethniques et leurs familles dispersées en métropole ou dans le monde (éventuellement associée à la webcam pour entretenir le lien affectif).