4 févr. 2007

question des inégalités numériques et des clivages sociaux


Deux sociologues du laboratoire SUSI de France Télécom R&D se sont intéressés à la question des inégalités numériques et des clivages sociaux liés à l’appropriation ou à la non appropriation des technologies de l’information et de la communication (TIC). Nous reprenons ici un court extrait de leur article. Celui-ci passe en revue des travaux français traversés par la notion de capital social. Les auteurs ont privilégié la question des sociabilités, en face-à-face ou instrumentées.

Source : Granjon F. et Lelong, B. (2006). Capital social stratifications et technologies de l’information et de la communication. In Réseaux n°139, pp. 148-181.

Page 168 :

« Les travaux français conduits notamment dans le sillage de la sociologie des usages (Beaudouin et al., 2003 ; Licoppe et Beaudouin, 2002 ; Licoppe, 2002 ; Mallard, 2002 ; Rivière, 2000a, etc.) se sont à ce jour fort peu préoccupés de la notion de capital social. A distance de ce type d’appareillage théorique, ils ont toutefois montré, d’une part, que les formes de sociabilité ordinaires sont fortement travaillées par la prolifération et la présence accrue des dispositifs de communication et, d’autre part, que nous assistons à une différenciation importante des actes de communication, à une stratification des réseaux de correspondants et à une spécialisation des supports et des formats d’interaction. Une particularité de ces nouveaux modes interactionnels est ainsi l’enchevêtrement croissant des médias de communication par leurs utilisateurs. L’insertion de l’image et du texte dans la téléphonie mobile autorisant par exemple des formes renouvelées de liens interpersonnels (Rivière, 2005a/b). Ces recherches font également la preuve que l’avènement des sociabilités médiées par des technologies n’est absolument pas synonyme de dégradation des relations interindividuelles. Il existe une étroite relation entre la communication téléphonique (fixe ou mobile) et les rencontres en présence : plus on se voit et plus on s’appelle (Licoppe et Smoreda, 2000 ; Smoreda et Thomas, 2001). Il est ainsi avéré et empiriquement prouvé que la sociabilité téléphonique se superpose assez étroitement à la cartographie des relations sociales ordinaires (proximité géographique) et électives (proximité sociale). Outil utile dans la coordination de l’action, le téléphone l’est aussi comme moyen d’entretenir la force des liens électifs et de pallier l’affaiblissement (momentané ou durable) de la présence de l’autre et de la charge émotionnelle qui lui est liée (Rivière, 2001). Cet ajustement se déroule par ailleurs en liaison avec la phase du cycle de vie (Smoreda, 2002 ; Smoreda et Licoppe 1998) dans laquelle se trouvent être les utilisateurs. On sait également l’importance des écologies domestiques ainsi que le rôle que celle-ci jouent dans l’arbitrage des usages et dans la distribution sexuée des pratiques des outils de communication (téléphonies fixe et mobile, internet) par les membres du foyer (Quéré et Smoreda, 2000 ; Rivière, 2000b ; Le Douarin, 2004 ; Pharabod, 2004). Enfin, la configuration matérielle et technique des espaces sociaux et des mobilités résidentielles est cruciale pour l’organisation des interactions en face-à-face et médiatisées (Gournay et al., 2002 ; Gournay et Smoreda, 2005). Au bilan, aucun diagostic sérieux ne permet d’avancer l’existence d’une dégénérescence avéré du lien social instrumenté, qu’il soit domestique ou « civique » (Granjon, 2001 ; Cardon, Granjon et Heurtin, 2006). »

Références :

Beaudouin V., Beauvisage T., Cardon D., Velkovska J. (2003). L’entrelacement des médias dans la constitution des publics de Loft Story, Rapport/FTR&D/8019, Issy les Moulineaux, FTR&D.

Cardon D., Granjon F. et Heurtin J.-P.(2006). Social networks approces of activism and cultural practices of young people, Dahlgren P. (ed.).

Gournay (de) C., Mercier P.-A. , Smoreda Z. (2002). Si loin, si proches : liens et communications à l’épreuve du déménagement, Réseaux, n°115, p. 121-150.

Gournay (de) C. et Smoreda Z. (2005). Space bind: The social shaping of communication in five urban areas, Nyiri K. (ed.) Sense of place: The global and the local in mobile communication, Vienna, Passagen Verlag, p. 71-82.

Granjon F. (2001). L’internet militant. Mouvement social et usages des réseaux télématiques, Rennes, Apogée.

Le Douarin L. (2004). Hommes, femmes et micro-ordinateur : une idéologie des compétences, Réseaux, n°123, p.149-174.

Licoppe C. et Beaudouin V. (2002). La construction électronique du social : Les sites personnels. L’exemple de la musique. Réseaux n°116, p.53-96.

Licoppe C. et Smoreda Z. (2000). Liens sociaux et régulations domestiques dans l’usage du téléphone, Réseaux, n°103, p. 255-276.

Mallard A. (2002). Les nouvelles technologies dans le travail relationnel : vers un traitement plus personnalisé de la figure du client ?, Sciences de la Société, n°56, p. 63-77.

Pharabod A.-S. (2004). Territoires et seuils de l’intimité : un regard ethnographique sur les objets multimédias et leurs usages dans quelques foyers franciliens, Réseaux, n°123, p. 83-117.

Quéré L. et Smoreda Z. (dir.) (2000). Le sexe du téléphone, Réseaux n°103.

Rivière C.-A. (2000a). Les réseaux de sociabilité téléphone, Revue Française de Sociologie, vol. 41, n°4, p. 685-711.

Rivière C.-A. (2000b). Hommes et femmes au téléphone. Un chassé croisé entre les sexes, Réseaux n°103, p. 21-49.

Rivière C.-A. (2001). Le téléphone : un facteur d’intégration sociale, Economie et statistiques, n°345, p. 3-32.

Rivière C.-A. (2005a). Mobile camera phones: a new form of being together in daily interpersonal communication, Ling R., Pederson P. (eds), Mobile Communications: Renegotiation of the social sphere, London, Springer.

Rivière C.-A. (2005b). De la voix à l’écriture. La diversification des modes de communication mobile en France et au Japon, Réseaux, n°133, p. 101-134.

Smoreda Z. et Thomas F. (2001). Social network and residential ICT adoption and use, Heidelberg, Communication au 1st Eurescom Summit 2001, 3G Technologies & Applications.

Smoreda Z. (Dir.) (2002). Cycle de vie et sociabilités, Réseaux, n°115.

Smoreda Z. et Licoppe C. (1998). Effets du cycle de vie et des réseaux de sociabilité sur la téléphonie, Rapport CNET/5518, Issy les Moulineaux, CNET.

1 févr. 2007

le smiley par Michel Marcoccia


Les smileys (ou emoticons) sont bien connus. Il s’agit de combinaisons de caractères permettant de
représenter de manière schématique (si on les incline à 90 degrés) des mimiques faciales comme des
sourires, des clins d’oeil, des moues de colère ou de tristesse. Les smileys sont très souvent utilisés
dans les forums de discussion et sont même rassemblés dans des petits dictionnaires, comme celui de
Sanderson. Par leur nature, on peut assimiler les smileys à des pictogrammes. On peut aussi noter que
la combinaison de signes graphiques pour former un symbole figuratif de mimique faciale repose sur
un principe comparable à la combinaison de kinèmes en kinémorphèmes, telle qu’elle est exposée dans
la théorie de Birdswhistell (voir Cosnier & Brossard 1984).
A la suite de Wilson (1993) ou de Mourlhon-Dallies & Colin (1995), on peut faire relever diverses
fonctions des smileys (cf. Marcoccia 2000b) :
- Un smiley peut être expressif : il sert à décrire l’état d’esprit du locuteur (la joie, la colère, la
tristesse).
- Le smiley peut être une aide apportée au destinataire pour qu'il puisse aisément interpréter les
énoncés. On peut parler de smiley interprétatif. Le smiley « clin d'oeil » a généralement cette
fonction car il permet de lever les ambiguïtés des énoncés ironiques ou humoristiques.
- Le smiley permet au locuteur d'indiquer la relation qu'il désire instaurer avec son lecteur.
Utiliser un smiley « souriant » peut être ainsi à la fois une manière d'exprimer son émotion et
de donner une tonalité particulière à l'échange.
- Le smiley est aussi un procédé de politesse, un moyen de désamorcer le caractère offensant
d'un message (un softener dans la théorie de Brown et Levison).

L’analyse de différents corpus montre que ces quatre fonctions en sont pas exclusives (un même
smiley peut avoir plusieurs fonctions) et qu’il n’existe pas de smiley qui serait « spécialisé » dans une
fonction. Les smileys ne renvoient donc pas qu’à des conventions stylistiques et on peut effectivement
rapprocher ces quatre fonctions de celles du non verbal et du paraverbal dans la communication en
face à face. La fonction expressive du non verbal et du paraverbal se fonde sur l'expression faciale des
émotions de base (décrites par Ekman 1993). La fonction interprétative du non verbal renvoie à ce que
Cosnier, par exemple, appelle la « mimogestualité connotative », qui participe à la constitution et à
l'interprétation des énoncés. Par ailleurs, la communication non verbale et paraverbale contribue
toujours au maintien de la relation et à la synchronisation interactionnelle (par le rôle des régulateurs,
par exemple).